Cultural Actions

06.12.24

Les détenus de Varces dirigent leur propre concert

Entre septembre et décembre dernier, La Belle Électrique a organisé une série d’ateliers à la maison d’arrêt de Varces. De la programmation à la technique en passant par la production, la communication et l’accueil des artistes, les détenus participant au projet ont ainsi pris les rênes de l’organisation d’un concert au sein de la prison tout en découvrant les métiers de la scène !

Fruit d’une collaboration de longue date entre la Maison d’Arrêt et La Belle Électrique, ces ateliers ont pu revoir le jour récemment après un arrêt imposé par la crise Covid. Suite à une réflexion commune entre Emeraude, Clémence (de La Belle) et Odile (du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation -SPIP) le projet a évolué afin d’offrir la possibilité aux détenus d’organiser un concert de A à Z tout en envisageant de nouvelles perspectives pour leur réinsertion notamment par la présentation des métiers de la scène.

« Mme Odile c’est notre lumière, elle est très appréciée ici »

Avec un poste ouvert à son arrivée, « Mme Odile » comme aiment l’appeler les détenus, est coordinatrice culture à la maison d’arrêt de Varces depuis bientôt trois ans et demi. Accompagnée par Jeanne, en service civique, Odile œuvre pour « faire rentrer l’extérieur à l’intérieur » en invitant des intervenant.e.s à proposer des actions socio-éducatives et culturelles au sein de l’environnement carcéral.

Et le panel d’activités proposées est large : écriture hip-hop/rap, arts plastiques, formation PSC1, cirque, théâtre… Le SPIP travaille notamment en lien étroit avec l’Université Grenoble Alpes sur le thème égalité femme-homme mais aussi avec le Conservatoire de Grenoble ou des associations bénévoles (ex : Lire pour sortir). Les disciplines sont nombreuses pour permettre aux détenus d’avoir accès à une richesse culturelle et d’ouvrir de nouveaux horizons.

« Je suis ravie que le lien avec La Belle Électrique ai pu reprendre. C’est super que l’équipe soit venue sur les ateliers et sur le concert le jour J. En plus, on a clôturé ce cycle avec une visite de La Belle Électrique. Pour moi, c’est gagné, ma mission est remplie : les détenus étaient intéressés, contents et remercient l’ensemble de l’équipe et du groupe ! » - Odile

« On a construit ce projet ensemble » - Jérémy

Découpés en plusieurs rendez-vous, le projet alliait une partie théorique pour permettre aux détenus de découvrir les métiers qui composent le milieu du spectacle et une partie pratique puisqu’ils réalisaient eux-mêmes l’organisation d’un concert dans l’enceinte du gymnase de la maison d’arrêt.
Durant plusieurs semaines, La Belle Électrique s’est ainsi rendue à Varces, pour animer de nombreux ateliers. Émeraude et Clémence, à l’action culturelle, ont fait appel à leurs collègues de La Belle pour présenter l’ensemble des facettes de la création au montage d’un concert. Au total, 5 salarié.e.s se sont porté.e.s volontaires pour transmettre aux détenus leurs connaissances du spectacle.

La première étape, et pas des moindres, consistait à choisir un groupe parmi les neuf présélectionnés, puis dans un deuxième temps, à « produire la date » : c’est-à-dire trouver la date idéale, rédiger une feuille de route et étudier le contrat. Venait ensuite le temps de communiquer l’information auprès des co-détenus, puis de définir les besoins techniques et d’installer l’espace scénique. Et enfin le jour J, accueillir au mieux le public et les artistes pour faire de ce concert un moment inoubliable pour l’ensemble des parties prenantes.

Côté programmation, le choix des détenus s’est porté sur les Pythons de la Fournaise, sept joyeux lurons originaires de Chambéry. Une bonne surprise tant pour le groupe que pour La Belle Électrique : « La population en milieu carcéral est assez jeune et plutôt imprégnée de la culture hip-hop. Evidemment, ça a eu une influence sur la sélection qu’on leur a présenté mais on a aussi pris le parti d’inclure d’autres genres musicaux, pour éveiller la curiosité et aussi faire comprendre qu’en programmation, on ne choisit pas qu’en fonction de ses goûts. On était ravies que le choix se porte finalement sur Les Pythons de La Fournaise ! » - Clémence

Avec plus de dix années de scène à leur actif, Les Pythons de la Fournaise jouent une fusion électrique d'influence séga et maloya, musiques traditionnelles et populaires de l'Océan indien. L’occasion donc, pour les détenus et co-détenus qui ont assisté au concert, de s’ouvrir à la culture réunionnaise et de profiter d’un moment festif !

« Une bulle d’air dans notre quotidien de prisonnier » – Yann

Ces ateliers ont aussi fait naître de beaux moments d’échanges loin des aprioris souvent associés au milieu carcéral. Pour les détenus, présents sur la base du volontariat, ces ateliers ont beaucoup apporté : de nouvelles connaissances, une découverte de métiers qui leurs étaient parfois inconnus et, plus loin, une ouverture sur l’extérieur plus que souhaitée : « Je rêve d’organiser des concerts une fois sorti de prison. Avoir ces ateliers de manière régulière, ça m’a aussi permis de tenir, les journées peuvent être très dures ici parfois » - Kekoura

Pour Macéo, la musique était déjà un domaine qui l’intéressait au départ, mais ce projet avec La Belle Électrique lui a « permis de découvrir des styles différents, qui changent de ce qu’on écoute au quotidien. C’était tellement agréable de participer, faire des choix ensemble, d’être responsabilisés. Le temps ne passe pas en prison, c’était bien d’avoir un atelier par semaine, on l’attendait impatiemment. ».

Parce qu’effectivement, s’il y a bien une chose que les participants ont apprécié, c’est être acteurs de leur propre projet : choix du groupe, design de l’affiche et de l’invitation aux co-détenus, installation du matériel scénique, accueil des artistes…

Pour Dylan, ce projet a été l’occasion de « découvrir de nouveaux instruments, une culture différente et une musique qu’[il] ne connaissait pas. Ces ateliers ont réuni des personnes d’horizons différents en un seul et même objectif commun. Le fait de pouvoir organiser de A à Z est très exaltant. On découvre des choses intéressantes : d’habitude on paie une place et on est simple spectateur. Je suis fier d’avoir contribué à la réalisation de quelque chose de grand. »

Pour un autre détenu c’était « la découverte totale. Je me suis retrouvé de l’autre côté de la barrière et j’ai adoré tout ce que j’y ai découvert ! La musique c’est un exutoire, encore plus dans le contexte carcéral. »

Côté La Belle Électrique, les salarié.e.s aussi étaient enchanté.e.s de pouvoir participer à un projet comme celui-ci qui offre une nouvelle manière d’envisager son travail quotidien.

« Au-delà du plaisir de transmettre ses connaissances, la rencontre avec les participants était tellement enrichissante ! Une fois passée l’appréhension liée au milieu carcéral, on oublie totalement qu’on est en prison. On s’est retrouvé d’humains à humains avec des personnes qui avaient soif d’apprendre, étaient motivées, impliquées et avec qui on a eu des échanges profonds sur la vie en prison et la vie à l’extérieur »

Camille - La Belle Électrique

« On se sent redevenir humain, merci pour tout ! »

Le 6 décembre, c’était le jour J : les équipes du SPIP, surveillant.e.s de la maison d’arrêt, équipe de La Belle Électrique, les artistes, les détenus, tout le monde était présent ! « Une fois réuni.e.s dans le gymnase, on était tou.te.s organisateur.rice.s, ça a gommé toutes les cases pré-existantes » Clémence

Entre quelques cafés et l’installation du matériel scénique, c’était le fourmillement dans le gymnase de la maison d’arrêt de Varces : tout le monde a mis la main à la patte et l’excitation était à son comble, c’était enfin l’aboutissement de plusieurs mois de travail ! Les détenus ayant participé aux ateliers d’arts plastiques proposés par la maison d’arrêt avaient, pour l’occasion, créé une banderole faite maison pour le groupe, de quoi joliment habiller l’espace.

Au total, 40 détenus et surveillant.e.s ont eu la chance de profiter du concert des Pythons de La Fournaise dans le gymnase de Varces. Certains ont également souhaité jouer en fin de concert ce qui a donné lieu à un échange privilégié avec les artistes et un bœuf improvisé !

Ce concert était mémorable ! L'accueil a été au top : installation du backline parfaite, vestiaire transformé en loge pour l'occasion, catering parfaitement géré, mise en scène mémorable devant les cages du gymnase ! Bref, tout a été pensé par les organisateurs (détenus ou non-détenus) pour que ce soit parfait ! Le gymnase était loin d'être le lieu idéal pour le son et ses températures très basses mais l'ambiance a primé lors du concert. Nous étions heureux que le public soit au rendez-vous et les surprises ne se sont arrêtées à la bonne ambiance : un petit bœuf à la fin du set nous a permis de partager de la musique avec ceux qui le voulaient. C'était chouette de voir tous les acteurs de cette journée (employés, équipe de la Belle, organisateurs) avec le sourire. J'ai été très touchée par leur investissement et le sérieux mis dans le projet, merci encore. Et en plus nous sommes repartis avec des affiches et la banderole que nous comptons bien exposer lors de nos prochains concerts ! – Clémentine, chanteuse dans Les Pythons de la Fournaise

Clémentine - Chanteuse dans Les Pythons de la Fournaise

La venue des artistes était également l’opportunité pour les détenus de s’essayer à l’exercice de l’interview vidéo. Avec des questions préparées en amont lors des ateliers, quelques participants ont pu en apprendre davantage sur le groupe qu’ils avaient sélectionné. On vous laisse découvrir le résultat dès maintenant !

« Tous ces ateliers et le concert d’aujourd’hui, ça permet de changer les pensées, de s’évader un peu… J’ai appris beaucoup et rencontré de nombreuses personnes de l’extérieur mais aussi d’autres détenus » - Aurélien



« J’avais de l’appréhension sur l’accueil des artistes. Ils viennent chez nous, c’est la merde, on est mal installés et il fait froid mais personne n’a fait de critique. C’est frustrant parce qu’on ne peut pas faire tout ce qu’on veut pour les accueillir au mieux. Mais aujourd’hui, c’est une super journée du début à la fin. C’est un projet qui a engagé tout le monde et sur lequel chacun.e y a mis de la volonté, même dans les moindres petits détails. Ce moment va marquer ma détention et me rester en mémoire pour longtemps, c’est certain. Le temps d’un instant, on oublie qu’on est en prison, on a plus de liberté qu’habituellement, c’est précieux. Merci Jeanne, Odile, merci à l’équipe de La Belle Électrique et aux artistes ! » - Yann

Ce projet a été mené en partenariat avec le SPIP de Grenoble et l'association MixLab, dans le cadre du dispositif "Culture et Justice".

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